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Venin mortel
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Auteur:  Gaëlle [ 25 Avr 2008, 23:33 ]
Sujet du message:  Venin mortel

Venin mortel

La neige s’est arrêtée, enfin. Je m’approche, transie, de cette lande étrange, perdue au milieu des cimes. Je regarde ce cimetière désuet, abandonné, où les tombes alignées de jadis, s’écroulent peu à peu, toutes mangées de chancissures grotesques et bariolées, qui griffent en longues balafres sacrificielles, les pierres lisses et dressées. Epitaphes à l’agonie, qui cherchent encore un semblant de droiture, taillées dans la pierre dure de nos larmes amères. Qui passe encore parfois en ces lieux de froidure ? Quelques instants éphémères de la longue arpente du destin, qui se sont arrêtés là, comme oubliés du temps. Les grands troncs altiers et séculaires, semblent entourer avec respect cette ultime parcelle d’humanité. Dressés face aux cieux déchaînés, ils semblent protéger, encore, le vieil édifice branlant, et ce carré de linceuls oubliés, que la neige recouvre constamment. Flèche dérisoire, dressée vers le ciel, née d’une mâture aux cloches désertées. Chapelle toute noyée de mousse, percée de mille trous, comme un chemin constellé d’étoiles, sous le regard étrange des gargouilles suspicieuses et lasses, étonnées d’être, là, dérangées. Le muret n’est plus que pierres ruinées, attaquées par les langues de glace qui lèchent chaque anfractuosité avant de les faire éclater. Amertume nacrée aux reflets de givre, qui s ‘accroche, rancunière, aux vieux portail de fer. J’approche doucement, mes sentiments me troublent, mélange soucieux de crainte et de recueillement. La vieille grille grince en s’ouvrant, je m’approche de ces stèles lointaines, nées d’un passé oublié, tout empreint de respect.

Que la vie semble triste parfois.

La lourde porte en bois toute gainée de fers est encore ouverte. Je m’enfonce dans les chemins étranges des lacs suspendus, retenant encore, quelques lourds chandeliers abîmés et futiles. Quatre chaises renversées, et cette chaire défaite, qui semble encore trôner dans le fond de la pièce. Insupportable odeur de chères de chair depuis longtemps passées, qui pourrissent sur les dalles disjointes, comme une charogne innommable. Chœur dénigré, je regarde ce sang qui poisse le sol tout maculé de rouge, jusqu’aux contremarches de l’autel des morts. Une lourde cloche abattue gît là, éclatée, noyée dans cette mare sanglante, comme les restes calcinés, d’une arme de guerre. Elle est là ! Nue, elle se baigne dans ce sang salvateur, comme une vestale sublime. Ses longs cheveux roux ondulent en vagues déferlantes jusqu’à ses reins cambrés. Face à un vieux crucifix, elle a écarté les bras, comme un reflet cynique et le sang coule sur son visage diaphane, comme si son front gracieux était percé d’épines. Dans sa main elle tient une rose noire, qui semble puiser son élixir de jeunesse dans ses veines gonflées aux doux reflets bleutés. Le buste relevé, elle me regarde approcher, et ses yeux sont d’un bleu pâle, un bleu presque gris. Soulignant ses seins blancs, de longues vomissures luisantes aux éclats carmin, glissent lentement sur sa peau fragile, rejoignant le sol et cette mare de sang. Elle semble me sourire, dans sa posture de sacrifiée, et mon arrivée inopportune ne la gêne même pas. Je m’agenouille devant elle, ange déchue, de scories et de cheires son âme est toute marbrée, à trop errer aux frontières des autres mondes elle en est restée marquée ! Soudain ils bougent derrière elle. Deux loups noirs et luisants se lèvent en s’étirant, et leurs yeux rouges, effrayants, me dévisagent longuement. L’un d’eux ouvre sa gueule en baillant, découvrant ses crocs puissants. Désemparée, je ne sais plus que faire. Quelles sont encore mes chances de salut ? A tutoyer les mondes mortifères, j’en perds les dernières frontières. Elle sourit franchement. Ses lèvres graciles s’entrouvrent sur ses canines luisantes. Seule, désespérée, je sens que j’ai perdu ! Chimères des lointaines caravanes, pourquoi m’avoir ainsi rendue servile ? A courir les mille mondes, j’en perds jusqu’à mon âme, et à fréquenter le trépas, je me suis condamnée. Elle est là, je la vois, sublime ingénue callipyge, qui tient ma vie entre ses doigts menus aux griffes acérées. Cryptique et mortelle assemblée, dans laquelle je ne cesse de me fondre, y a t’il un ailleurs à mon corps décharné ? Je regarde passer, le convoi mortuaire, et je sens monter mes larmes, et cette longue barque noire qui domine le passage. Mes forces m’abandonnent, aujourd’hui est un ultime pas, vers les voies abyssales, et les mondes des enfers. Je lâche mon arme ! A quoi bon se battre contre mes chimères ? Doucement elle se lève, déposant un baiser juste sur mes lèvres. Puis elle ouvre sa bouche et m’embrase dans le cou, voluptueusement, trop profondément.

Les loups, surpris, s’écartent et évitent notre danse macabre. Ils sortent doucement de la vieille chapelle de marbre. Je me sens mourir, mais je me sens bien. Quelle délivrance, après tout ce chemin. Je crois qu’avant de mourir, J’ai encore eu la force de sourire !



Mille bises Gaëlle

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