Tout s’était passé si vite.
Syldric était chancelant, épuisé mais une sourde envie de rire lui tenait au ventre.
La mort était sa compagne depuis tant de temps, mais aujourd’hui il avait frôlé les rives mortifères, comme jamais encore il ne se l’était permis.
Une douleur lancinante l’arracha à sa satisfaction. Il essaya de regarder sa plaie, mais son épaule ne bougeait plus, semblant ne plus répondre à ses incitations.
Il voyait bien que sa peau changeait de couleur. Elle devenait toute marbrée de noir, comme une toile d’araignée, qui s’étalait de plus en plus.
Chaque once de sa peau ainsi meurtrie, ne lui appartenait déjà plus.
Stoïque, il arrêta sa peur, et se rapprocha de la fenêtre.
Le combat avait été rapide, rien ne semblait bouger dans la rue.
Il s’appuya à la rambarde, l’air absent. Son esprit s’évadait, il revoyait sa vie avec lenteur, son enfance, ses amours, et la belle Argance, dépossédée de son âme, qui avait su lui donner tant de plaisir.
Il sentait confusément sa blessure gagner du terrain, son corps endolori semblait s’effacer doucement, et les sensations d’être libre et vivant s’amenuisaient en cadence.
Il regarda ce bel Harmonde, pour lequel il avait donné sa vie, cette inspiration, ce don magnifique qu’il avait reçu, et qu’il n’avait eu de cesse de mettre au service de ce combat contre l’ombre et le masque.
Non, décidément il ne reniait rien de sa vie d’aventure, il s’était donné corps et âme à son talent de bretteur, avait maintes et maintes fois échappé au masque de la Mort, mais aujourd’hui, il sentait confusément qu’il ne serait pas le vainqueur.
Il se retourna doucement, son dos le faisait souffrir maintenant, et cette toile tissait avec diligence l’invalidité de tout son être.
Il regarda l’arme scintillante abandonnée sur le plancher de sa mansarde. Elle luisait faiblement, irradiant quelques volutes néfastes tout autour d’elle.
Ce tas de cendres, qui ne ressemblait plus à rien, cette cape noire, brisée là comme un linceul goguenard, son linceul !
Il s’assit à grand peine sur son lit. Il n’avait pas mal, il sentait simplement son essence, sa flamme le quitter, tout doucement.
Il ferma les yeux et s’allongea, il ne lui restait qu’à attendre, attendre quoi ? Quel chemin empruntera t il pour aller de l’autre côté ?
Qu’y verra t il ?
Qui servira t il ?
Sera t il un agent du masque ?
A moins qu’il n’y ait rien au delà de la mort, rien qu’un tas de cendres, rien qu’un triste vide…
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Kyrstarik hurla en regardant les flammes dévorer la connivence.
- Ce n’est pas possible, mais qui est donc ce farfadet de malheur !
Le conjurateur était hors de lui, les murs de son antre résonnaient de toute son ire, et ses serviteurs, apeurés, se faisaient le plus petit possible.
Il allait devoir rendre des comptes.
Lui, que personne n’osait regarder dans les yeux, lui Maître Kyrstarik allait devoir expliquer à son mandant, au palais d’acier, qu’il avait échoué, que ce petit bretteur sans envergure avait occis son plus fidèle serviteur, d‘une chiquenaude.
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La musique était douce, comme une mélopée harmonique qui semblait faire de l’équilibre sur le fil de ses jours.
Syldric ouvrit les yeux doucement et les referma aussitôt.
La lumière était incroyablement claire. Depuis l’avènement du manteau de Nocte, les jours n’étaient plus aussi clairs qu’avant, il régnait sur l’Harmonde comme une brume tenace qui ne s’en allait jamais. Aussi une telle lumière, pure et intense était elle extraordinaire. Syldric n’avait pas le souvenir d’en avoir vu pareille de toute sa vie.
Prenant son temps, il ouvrit doucement les yeux pour la seconde fois.
La pièce était blanche. Il y avait une entêtante fragrance de pollen et de miel, qui le réconforta aussitôt.
Se redressant sur l’immense lit, il s’adossa au mur de marbre blanc, et entreprit de comprendre où il pouvait se trouver.
Le décor était simple, si pur qu’il en était beau comme la quintessence de l’Art.
Une table de chevet sur laquelle il y avait un verre de nectar de fruit rouge, qu’il n’identifia pas en gouttant le breuvage.
Une large commode en bois blanc, dont les dorures et les cariatides étaient d’or et de cristal.
Un tableau sur le mur blanc d’en face, montrait un monde pur et harmonieux, où dansaient quatre magnifiques jeunes femmes.
Une table basse supportait un vase contenant de magnifiques fleurs blanches hautes et odorantes, dont les calices ouverts semblaient être faits de soie.
Une porte, close, blanche elle aussi.
Pas de fenêtre, pas de lumière, la pièce irradiait d’elle même cette éclatante clarté.
Son lit était séparé du reste de la pièce par de lourds rideaux de velours, blancs eux aussi, ramenés sur des mâtures de part et d’autre de sa couche, et ondulaient du plafond jusqu’au sol en volutes soyeuses et consciencieuses.
Il n’entendait pas le moindre bruit.
- Est ce donc ça la mort se mit il à penser ?
Il se reprit et entreprit de bouger ses membres.
Son épaule ne lui faisait plus mal, son corps avait repris toute sa vigueur, peut être même plus qu’avant, et il se sentait reposé et vivant, comme après une longue nuit d’amour.
Il se leva. Sa nudité le gêna quelque peu. Il n’y avait nuls endroit où étaient posées ses affaires. Il s’enhardit et ouvrit un tiroir de la commode.
Le meuble était extraordinairement ciselé, des milliers de tiges à peine visibles à l’œil nu, formaient de multiples arborescences, qui ornaient chaque once de ce bel ouvrage, représentant de multiples fleurs, et quantité d’arabesques, et de volutes entrelacées.
C’était purement magnifique.
Le tiroir glissa sans bruit, sans effort.
A sa grande surprise, il trouva profusion de magnifiques vêtements, comme il n’en avait jamais vu auparavant, tant ils étaient souples et fins. Lorsqu’il essaya le premier, il se rendit compte, non sans surprise, qu’il lui allait comme un gant.
Il s’habilla alors, prenant grand soin d’harmoniser les couleurs, afin de ne pas dépareiller dans cet étrange univers de pure harmonie.
Il choisit une belle chemise ample, d’un blanc immaculé, aux mille broderies entrelacées, des pantalons corsaire, de belles bottes de cuir d’une souplesse infinie, et une longue ceinture de soie.
Puis, ainsi vêtu, il referma doucement le magnifique meuble et ouvrit la porte.
Il se trouva dans un long couloir, et dut cligner des yeux tant la lumière était forte maintenant, comme si la chambre d’où il venait, avait été tamisée, pour adoucir la flamboyance de ces lieux magiques.
Il marchait sur un long tapis blanc, sur lequel étaient brodées des scènes bucoliques en fils d’or et d’argent. La méticulosité et la précision de l’ensemble donnaient le vertige.
Il passa devant de nombreuses portes semblables, et descendit un large escalier de marbre, qui donnait dans un patio empli de mille fleurs odorantes et superbes.
La lumière du dehors était telle qu’il devait fermer les yeux à moitié, afin de ne pas être aveuglé.
Soudain une magnifique jeune fille s’avança vers lui, semblant sortir de nulle part. elle était grande, élancée, habillée d’une simple tunique à la blancheur aveuglante.
Ses longs cheveux blonds ramenés en tresses soyeuses et entrelacées, tenaient grâce à des guirlandes de fleurs. Ses yeux bleus et profonds ressemblaient à des lagons.
Elle sourit et, sans un mot, l’invita à la suivre.
Ils déambulèrent quelques instants dans un sublime jardin, le longs d’allées soignées et dallées de lauzes blanches. Puis elle s’effaça dans un sourire, en l’invitant à entrer dans une alcôve fleurie et à demie cachée du reste du jardin. Là, sous un pavillon blanc, une autre jeune femme le regardait arriver avec un grand sourire.
Elle était assise sur un lit de pierre, au milieu de fleurs de glycine blanches, qui tombaient en grappes tout autour d’elle, ajoutant aux suaves fragrances de ce jardin extraordinaire.
Elle reposa un livre, et se redressa pour accueillir le farfadet.
- Je suis heureuse de vous voir en si bonne forme, Syldric le bretteur. Sa voix était semblable à des gouttes de rosée, qui tombent sur un brin d’herbe, cristalline et affable, d’une douceur absolue.
Elle était grande, sa longue robe de taffetas blanc était somptueusement simple, ses cheveux longs dansaient dans son dos, et son regard couleur d’émeraude, conquit Syldric dès le premier instant.
- Je sais que vous vous demandez où vous vous trouvez, mon cher ami, mais sachez tout de suite que vous n’en saurez rien, jamais. Il y a quelques lunes, un sombre complot a été mis en place par quelques tristes éminences, aveuglées par l’esprit corrosif et pernicieux du Masque. Je ne sais pas pourquoi, mais il avaient le projet de vous éliminer coûte que coûte, et, pour cela, ont fait appel à un démon puissant. Ainsi vous deviez mourir, afin de leur permettre d’asseoir leurs forfaitures. Il y a déjà longtemps que vous avez quitté vos proches, vous remettre sur pied n’a pas été une mince affaire, mais vous voilà maintenant en pleine forme.
L’enjeu de ces puissants misérables est tel, que l’équilibre déjà bien précaire de l’Harmonde risque de se détruire irrémédiablement.
Aussi je vous demande votre aide, afin d’essayer d’enrayer cette machiavélique farce. Les forces sont retorses, et il faudra vous garder de trépasser. Mais, mes sœurs et moi vous aiderons tant que nous le pourrons. Heureusement j’ai quelques connaissances qui vous aideront de leur mieux elles aussi. Mais acceptez vous cette offre que je vous fais ?
_________________ Le rêve est la raison d'un seul
La réalité est la folie de tous
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