L’Ile du Pendu
Le saviez vous ? Même la Ténèbre se cristallise. Certains y voient les effets de l’Eclipse ; d’autres, la volonté inaliénable de Silith. L’Ile du Pendu, cet amas noirâtre de roches soudées, surgit des flots le Masque seul sait quand. Vestige d’une de ces mystérieuses marrées noires, ou création de l’Haut Diable des Mers, l’île se cache au sein des brumes épaisses du Golfe d’Ebène. Territoire pratiquement inconnu, bien peu peuvent se targuer d’y avoir mis le pied. Les marins la considèrent comme une légende ; mais, tous se taisent lorsque dans la nuit résonne le chuintement métallique du Pendu. Le mouvement, faible balancier, reste perceptible malgré le vent. Le poids de la chair rongée par les mollusques s’attache à votre ventre. Et l’air s’emplit d’acier. Et le froid gagne vos membres. Alors, alors seulement, l’Effroi vous pénètre, vous mord, vous crispe, vous abreuve, vous terrasse, tandis que dans la nuit résonne le chuintement métallique du Pendu.
Silith, confrontée à la Sentence des Rivages, comprit bien vite ses limites. La recherche d’alliés afin de traquer Vitrance devint primordiale. Qu’avait elle à offrir ? Copiant ses frères abyssaux, elle permit aux mortels de traiter avec ses sbires. Les démons marins seraient alors soumis aux mêmes lois dictées par les Connivences. Cependant, l’Haut Diable n’avait confiance en personne. Les Advocatus terrestres étaient trop loin de son influence, et risquaient de faire part de ses plans aux Hauts Diables. Il lui fallait un agent à proximité, quelqu’un à avoir sous la main.
Ainsi un jour rencontra-t-elle le Pendu. Une compagnie d’inspirés Boucaniers, en guerre contre les Abysses, avait réussit à piéger un Advocatus Diaboli, tuer l’Incarnat qui le suivait, et pendu le pauvre bougre au mât de leur navire. L’extrême résistance du Ténébreux lui promettait de longues heures d’agonie, souffrant du poids de son propre corps. L’hurlement effroyable du Pendu atteignit les profondeurs et sortit Silith de son sommeil. Elle y vit l’occasion tant attendue. Elle lui offrit la vie sauve contre sa fidélité. Bien sûr, il accepta.
Le Pendu ne devint pas tout de suite l’Advocatus de sa maîtresse. Celle-ci voulait former un réseau. La mise en pratique de la Conjuration Marine nécessitait de grands moyens. Les démons marins répondants à l’Astre nocturne, Silith devrait fournir des Oeillipses à ses protégés. Restait le problème du cerclage d’ombre, les encres ordinaires se diluaient au contact des vagues ; elle avait une solution mais le savoir faire d’un alchimiste demeurait utile. Le Pendu répondait aux ordres. Il fit jouer sa stature, sa fortune et ses relations. Sa silhouette arpentait les rues d’Abyme. La marque indélébile de la corde brisait son cou en deux. C’est lui-même qui contacta les architectes ténébreux afin d’ériger son gibet d’Acier. A la fois potence et armoire, l’œuvre lui permit de classer les Connivences Marines.
Ses objectifs pleinement accomplis, le Pendu endossa une nouvelle fois sa tenue d’Advocatus. Silith n’oublia pas la cravate… Un mât d’Acier se dressait désormais, crevant le ciel de cet îlot perdu du Golfe d’Ebène. Le Haut Diable des Mers, elle-même, plaça la chaîne autour du cou brisé de son obligé. Ce dernier souriait. Le destin se bouclait. Le Pendu retrouvait sa place. Pour ne pas qu’il meurt, desséché par les souffles salins, Silith confia son corps aux Mollusquines. Ce couple de démon s’installa dans sa chair et préserva, jusqu’alors, son intégrité. Le Pendu fut et restera l’interlocuteur privilégié entre Silith et les mortels.
Son réseau subsiste encore. Antiques Connivences, relations immortelles, traditions… Les chemins vers l’Ile du Pendu sont ouverts aux audacieux. Des cartes existent. Rappelez vous ce chant : « Et l’air s’emplit d’acier. Et le froid gagne vos membres. Alors, alors seulement, l’Effroi vous pénètre, vous mord, vous crispe, vous abreuve, vous terrasse, tandis que dans la nuit résonne le chuintement métallique du Pendu. »
La Sentence des Rivages
Janus, juge suprême de l’Harmonde, comptait bien mettre fin aux exactions de Silith en énonçant sa sentence. Faire de l’Obsidien le Haut Diable des Mers réglait le problème des noxymores. Non seulement Silith était maintenant responsable des démons marins, mais en plus la Sentence des Rivages empêchait dorénavant les démons d’envahir les terres par voies maritimes. Ce n’était sans compter sur son frère ennemi, le Masque… Lorsque celui-ci recouvrit l’Harmonde du Voile de l’Automne, la mécanique des Muses s’enrhuma. L’Horloge Abymoise se crispa, et le temps sembla presque s’arrêter. Janus fit ce qu’il pu pour sauvegarder l’harmonie mais l’évidence s’imposait : l’Harmonde était déréglé.
Les conséquences sur la Sentence des Rivages se firent rapidement sentir. Qu’était-ce que l’Harmonde à présent ? Et quels étaient ses rivages ? Les frontières devenaient floues. Certains démons arpentaient déjà les plages en quête de proies innocentes. Les Empires se morcelaient. Par chance, les nouveaux royaumes se protégèrent en se rendant en Abyme. Les pactes qu’ils nouèrent avec la ville les incorporèrent à l’Horloge Harmonique. Petit à petit, l’Harmonde rebâtissait ses frontières. Les démons marins durent regagner les vagues, leur heure n’était pas encore venue.
Aujourd’hui, la presque totalité des côtes de l’Harmonde se trouve protégées par la Sentence des Rivages. Il existe des exceptions. Des îles sont bien trop corrompues pour entrer dans ce cas de figures ; les marées noires ne sont pas innocentes. De plus, certaines régions comme les Cornes ou Bokkor n’ont pas rejoint l’Horloge Harmonique d’Abyme. Celles-ci restent théoriquement sous la menace des démons marins. Quand à savoir pourquoi elles n’ont pas été encore envahies, ceci est une autre histoire…
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